Lancement de l’Institut du Pacte Éducatif Africain

Leçon inaugurale :
La synodalité au service de l’éducation catholique
Porté sur les fonts baptismaux à la fin du Symposium international de Kinshasa, le 6 novembre 2022 ; remis au Pape François au Vatican le 1er juin 2023 et Restitué au Congrès africain d’Abidjan en décembre 2023, le Pacte Éducatif Africain, émanation du Pacte Éducatif Global du Pape François continue sa course pour s’enraciner solidement dans l’univers éducatif africain, sous la houlette de la Fondation Internationale Religions et Sociétés. Il arrive dans un contexte ecclésial marqué par un nouvel esprit, celui de la synodalité. Il est donc important que ce Pacte Éducatif Africain se joigne au « marcher ensemble » de l’Église en Afrique pour prendre toute sa place dans le concert de la synodalité. La question est donc de savoir comment cela pourrait-il se faire ? Dans quelle mesure le mouvement de la synodalité, tel que voulu par l’Église universelle pourrait-il permettre une meilleure diffusion, promotion et mise en œuvre efficiente du Pacte Éducatif Africain ? La toute première réponse se trouve dans le lancement de l’Institut du Pacte Éducatif Africain qui nous rassemble en cette rencontre de Kigali. Je voudrais donc dans ce propos inaugural faire une réflexion en trois points, qui ne sont qu’un rappel des fondamentaux de la mission éducative de l’Église selon le magistère tout en les situant dans notre contexte actuel et surtout africain.
- La place de l’éducation catholique dans la mission de l’Église
- La place du Pacte Éducatif Africain dans la mission de l’Église en Afrique
- Les bienfaits de la synodalité dans la promotion de l’Institut du Pacte Éducatif Africain
1. La place de l’éducation catholique dans la mission de l’Église
La mission éducative est inscrite dans l’ADN de l’Église en tant que « Mère » et « Maîtresse ». Quand on mesure la portée du rôle de la mère dans la famille, on comprend mieux la mission de l’Église en tant que Mère. La Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum Educationis du Concile Vatican II insiste sur le droit universel à l’éducation en ces termes :
« Tous les hommes de n’importe quelle race, âge ou condition, possèdent, en tant qu’ils jouissent de la dignité de personne, un droit inaliénable à une éducation qui réponde à leur vocation propre, soit conforme à leur tempérament, à la différence des sexes, à la culture et aux traditions nationales, en même temps qu’ouverte aux échanges fraternels avec les autres peuples pour favoriser l’unité véritable et la paix dans le monde. Le but que poursuit la véritable éducation est de former la personne humaine dans la perspective de sa fin la plus haute et du bien des groupes dont l’homme est membre et au service desquels s’exercera son activité d’adulte. » (n. 1)
Il est donc nécessaire d’user de tous « les moyens du progrès des sciences psychologique, pédagogique et didactique » pour assurer à tous les hommes et spécialement aux enfants et aux jeunes une saine éducation pour développer en eux les aptitudes intellectuelles, morales et spirituelles susceptibles de construire en eux une personnalité libre et responsable.
À ce principe universel s’ajoute la marque de l’éducation catholique dont l’identité spécifique, rappelée tout récemment en 2022 par la Congrégation pour l’Éducation Catholique dans une note intitulée : « L’identité de l’école catholique pour une culture du dialogue », consiste dans « sa référence à la conception chrétienne de la réalité. C’est Jésus-Christ qui est le centre de cette conception ». La relation personnelle avec le Christ permet au croyant de poser un regard radicalement nouveau sur toute la réalité en assurant ainsi à l’Église une identité toujours renouvelée afin de susciter, au sein des communautés scolaires, des réponses adéquates aux questions fondamentales de toute femme et de tout homme. » (Congrégation pour l’Éducation Catholique, L’identité de l’école catholique pour une culture du dialogue, Cité du Vatican, 25.01.2022, n. 20).
C’est dans cet esprit que l’Église contribue à l’éducation et à la formation des humains dans toutes les dimensions de leur être et de leur personnalité. C’est pourquoi l’éducation a toujours une place de choix dans son apostolat depuis le Christ qui en a posé le bases et les premiers jalons. L’éducation se présente ainsi comme le lieu par excellence de la construction et de la formation de l’homme. Pour mieux l’adapter aux différents lieux, temps et cultures, le besoin de réappropriation pour une meilleure adéquation avec les différentes zones culturelles de ce monde s’avère nécessaire.
2. La place du Pacte Éducatif Africain dans la mission de l’Église en Afrique
Nous le savons, le Pacte Éducatif Africain résulte du Pacte Éducatif Global du Pape François lancé le 12 septembre 2019. Il s’est donné la noble et délicate mission de rechercher et d’approfondir les connaissances locales, les valeurs éducatives traditionnelles de l’Afrique pour ne pas former des déracinés mais des enracinés, condition sine qua non pour un véritable développement humain intégral des jeunes africains. Dans un tel projet, la formation des formateurs aux valeurs locales inculturées, leur accompagnement dans leur mission ne peut être laissée en appendice. Le pari de l’éducation responsable passe nécessairement par l’approfondissement de ces axes majeurs.
Dans le concert des nations, dans la rencontre réciproque pour la marche synodale, l’Afrique ne peut continuer à répéter et valoriser ce qui vient d’ailleurs. Nous avons aussi quelque chose à donner. Nous avons une identité culturelle à défendre et à partager. L’Afrique elle-même est multiculturelle, et dans nos pays, les démembrements ethniques sont nombreux. Mais loin de constituer un facteur de division et de dispersion, au regard de ce que cet état de fait pourrait engendrer en termes de comparaison, de suffisance, d’opposition et de complexe de supériorité par rapport aux autres, de dévalorisation des autres, cette diversité doit plutôt être une richesse à exploiter, dans un donner/recevoir réciproque.
Il n’est donc pas question pour le Pacte Africain de tendre vers une sorte d’uniformité ou d’uniformisation au regard des situations complexes et diverses, mais plutôt vers une rencontre pour un dialogue constructif et instructif. Le Pape François, d’ailleurs, invite au rejet de « l’uniformité éducative » qui pourrait masquer « un conditionnement idéologique. » Recevant les participants au Symposium « Service-Learning et Pacte éducatif mondial au Vatican le 9 novembre dernier, il leur avait dit : « Cette uniformité cache des formes de conditionnement idéologique qui falsifient le travail de l’éducation, en en faisant un instrument à des fins bien différentes de la promotion de la dignité humaine et de la recherche de la vérité. »
Aujourd’hui, notre jeunesse fait face à de nombreuses dérives que le Pape a relevées et dénoncées dans son Exhortation Apostolique Christus Vivit. Nous pouvons citer entre autre : la criminalité organisée, la traite d’êtres humains, l’esclavage et l’exploitation sexuelle, les viols de guerre, les persécutions, le phénomène des enfants soldats, le trafic et la vente de drogue, surtout dans et aux abords des écoles, les abus et les dépendances, la violence et les déviances, l’endoctrinement, l’instrumentalisation, les grossesses en milieu scolaire, l’avortement, la diffusion du VIH, la pornographie, la situation des enfants et des jeunes de la rue, le phénomène de l’immigration. Face à ces graves dangers qui guettent et détruisent la jeunesse mondiale, et spécialement celle de notre continent africain, le Pacte éducatif se présente comme un rempart sûr pour mutualiser et consolider nos forces en vue de faire barrage à tout ce qui dénature l’éducation de nos jeunes. En cela, les échanges d’informations mutuelles, les apports et contributions dans un esprit synodal peut constituer un véritable lieu pour une nouvelle espérance dans le mouvement du jubilé de l’an 2025. La synodalité est donc une richesse à exploiter pour faire vivre le Pacte Éducatif Africain.
3. Les bienfaits de la synodalité dans la promotion de l’Institut du Pacte Éducatif Africain
Le Document final de la XVI Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, en sa 2e Session tenue du 2 au 27 octobre dernier à Rome a porté une réflexion pertinente sur l’éducation catholique en ces termes :
Malgré la diversité des contextes culturels, qui déterminent des pratiques et des traditions très différentes, les institutions de formation d’inspiration catholique sont souvent en contact avec des personnes qui ne fréquentent pas d’autres milieux ecclésiaux. Inspirées par les pratiques de la synodalité, elles peuvent devenir un laboratoire de relations amicales et participatives, dans un contexte où le témoignage de vie, les compétences et l’organisation de l’éducation sont principalement laïcs et impliquent prioritairement les familles. En particulier, l’école et l’université d’inspiration catholique jouent un rôle important dans le dialogue entre foi et culture, et dans l’éducation morale aux valeurs, en offrant une formation orientée vers le Christ, icône de la vie en plénitude. Lorsqu’elles y parviennent, elles se révèlent capables de promouvoir une alternative aux modèles dominants, souvent inspirés par l’individualisme et la compétition ; ainsi, elles assument également un rôle prophétique. Dans certains contextes, elles sont le seul environnement dans lequel les enfants et les jeunes entrent en contact avec l’Église. Quand elle est inspirée par le dialogue interculturel et interreligieux, leur action éducative est également appréciée par les personnes d’autres traditions religieuses, comme une forme de promotion humaine. (n. 146)
Cette note invite l’éducation catholique à ouvrir ses portes, à aller à la rencontre, à promouvoir la marche avec d’autres entités pour s’enrichir et performer l’éducation de nos jeunes. En tant que lieu d’existence de l’Église dans les milieux même non catholiques, elle peut constituer un véritable ponts entre de nombreuses entités.
En cela l’image du Pape présentant l’éducation comme un « travail choral », un chœur, est très instructif. Aux participants au Congrès sur « l’Église dans l’éducation: présence et engagement », organisé à Madrid samedi 24 février 2024 par la Conférence épiscopale espagnole, il recommandait de continuer la réflexion sur le « marcher ensemble » et les exhortait à promouvoir la « collaboration et le travail en réseau ; ne restez jamais seuls, évitez l’autoréférentialité. »
La synodalité nous invite à fuir le renfermement sur soi, la suffisance, pour partager les expériences éducatives dans le contexte africain. En ce sens la synodalité est une chance pour notre éducation catholique et l’Institut du Pacte Éducatif Africain en est son instrument de réalisation, son cheval de batail. L’Institut du Padre Éducatif Africain est le cadre idéal dans lequel la synodalité devra être expérimentée pour produire les fruits escomptés.
+ Mgr Jacques Assanvo AHIWA
Archevêque de Bouaké
Membre de la Commission pour les Relations avec les Conférences Episcopales et les Congrégations Religieuses – Pacte Educatif Africain – Fondation Internationale Religions et Sociétés